par @FrancoisChe
Pourquoi le Daft Punk bashing est devenu un sport national

De Darlin' à Random Access Memories, le duo casqué a toujours entretenu des relations compliquées avec les médias. Une tendance qui s'est confirmée après leur prestation aux Grammys. Mais au fait, pourquoi tant de haine ? Sans faire l'unanimité auprès de ses compatriotes - nul n'est prophète en son pays - Daft Punk continue de ne jamais être là où on l'attend. Au risque de diviser. Plus qu'une constante, une devise.
Dimanche 26 janvier 2014. Daft Punk triomphe aux Grammy Awards. Lors de cette cérémonie, l'équivalent des Oscars de l'industrie musicale, le binôme électro récolte cinq récompenses et joue en compagnie d'une équipe digne d'un all-star game NBA : Stevie Wonder, Pharrell Williams, Nile Rodgers, Omar Hakim... Au premier rang, c'est le panthéon : Paul McCartney, Jay-Z, Beyonce, Yoko Ono... dansent au rythme de Get Lucky, le hit de l'été 2013 relifté pour l'occasion. Du jamais vu pour des artistes français. Le climax d'une carrière ?
Pas au goût du New York Times. Le très respecté quotidien américain qui a du s'y reprendre à trois fois pour orthographier correctement Daft Punk estime, par l'intermédiaire de deux de ses journalistes, « qu'il suffit de dépenser quelques millions de dollars pour gagner [aux Grammys] ». En scannant le palmarès, on se rend vite compte que cette affirmation est transposable à l'infini. Côté français, le site Fluctuat, dans un papier daté du 31 janvier, appelle à relativiser la performance des Daft. Selon le webmag, Stevie Wonder, est admissible « au cimetière des éléphants », et le guitariste de Chic a composé « le riff de guitare le plus paresseux de toute sa carrière ».
L'art du contre-pied
Ce bashing n'est pas un phénomène isolé. Les artistes élevés au rang d'icône font en permanence l'objet de critiques. Daft Punk n'échappe pas à la règle.
Un schéma habituel qui ne surprend pas Patrice Bardot, rédacteur en chef du magazine Tsugi : « C'est la marque des grands artistes de ne jamais susciter l'indifférence. Ils ont un propos très personnel qu'ils expriment sans se soucier de ce que les gens attendent. C'est sans compromis. Et comme toujours, ils ont autant de fans que de gens qui les détestent. D'autant plus qu'en France, on adore critiquer. Quand quelque chose marche, il faut trouver des raisons de dire que c'est naze. »
Ce n'est pas une nouveauté, Daft Punk a toujours divisé. Et dès leurs débuts, les Parisiens (contrairement à une croyance tenace, ils ne sont pas Versaillais) ont su en jouer. En 1993, un journaliste anglais traite de « daft punky trash » la musique de Darlin', un trio composé de Thomas Bangalter, Guy-Manuel de Homem Christo et Laurent Brancowitz (futur membre de Phoenix). Il ne croit pas si bien dire. Quelques mois plus tard, Daft Punk était né.
En 1996, le journaliste des Inrocks Christophe Conte, qualifie Homework de disque « tristement harassant ». Un peu sévère pour un 33 tours qui va démocratiser la house music à l'échelle mondiale, en s'écoulant à près de 3 trois millions d'exemplaires. Cette chronique, on l'imagine encadrée au dessus du lit de Thomas Bangalter.
Au moment de publier Discovery (2001), la presse est partagée, de même qu'une partie des fans de la première heure qui ne comprennent pas ce virage disco pop. Une orientation mainstream en totale contradiction avec l'album précédent, plus underground dans la démarche, entre samples de funk 70 et références à la Chicago house. La collaboration avec Leiji Matsumoto, le créateur d'Albator est également au centre des débats. Bout à bout, les clips extraits de Discovery forment un film d'animation : Interstella 5555.
De l'underground au mainstream
En 2005, sans doute échaudé par l'accueil de Discovery, les Français décident de ne pas promouvoir Human After All. Aucun contact avec les médias n'est toléré. Embargo total. Même si Thomas Bangalter et « Guy-Man » n'ont jamais été de grands orateurs, ce n'est pas idéal comme plan promo. D'autant qu'il s'agit de l'album le plus faible de leur discographie. Finalement, les morceaux Technologic, Robot Rock, The Prime Time Of Your Life... seront révélés lors de la tournée Alive 2007. Daft Punk offre une relecture complète de son répertoire et accède au statut d'icône pop en démarrant sa tournée à Coachella, au printemps 2006.
C'est à ce moment là que les Daft quittent la sphère électro. Patrice Bardot poursuit : « En partant des Etats-Unis, dans le plus gros festival people du monde, automatiquement les médias du monde entier en ont parlé. Il y a eu un gros fantasme. En plus d'être le premier live électronique massif, Alive 2007 a permis de faire le lien entre les générations, celle d'Homework et les plus jeunes. De plus, ils ont entrainé un public américain derrière eux. S'ils avaient démarré au Zénith de Paris, l'impact aurait été surement moins fort. »
Une stature internationale que Daft Punk va exploiter au moment de dévoiler Random Access Memories, en mai dernier. Après avoir fait le tour de la question électro, avec trois albums avant-gardistes, Daft Punk retourne en studio et convoque ses idoles de jeunesse. Autrefois samplés, Nile Rodgers, Paul Williams et Giorgio Moroder se retrouvent au coeur d'un dispositif, volontairement rétro.
Pour la promotion, les robots optent pour un plan de marketing viral minimaliste qui se limite à une image de casques postée sur leur fanpage Facebook, un teaser annoncé au Saturday Night Live et une série de contenus vidéo en partenariat avec The Creators Project. Les sites se contentent de relayer le moindre embryon d'information au sujet des Daft qui squattent les trending topics sur Twitter. Cette stratégie de la rareté sera vilipendée sur les réseaux sociaux. Les fans n'en peuvent plus d'attendre et les haters s'en donnent à coeur joie. Le magazine Brain jugera cette communication « désastreuse ». A défaut d'innover, Daft Punk en a-t-il trop fait (ou pas assez) ?
L'analyse d'Anthony Audebert, responsable du marketing digital chez Barclay : « La campagne pilotée par Columbia a été très critiquée. Pourtant, c'est une campagne normale. La grosse différence avec un artiste lambda, c'est qu'elle a été pensée de manière mondiale. Au moment où ils dévoilent le 1er single et la date de sortie de l'album, ils lancent la précommande sur Itunes dans la foulée. Ensuite, ils ont pris des habillages sur You Tube, qui est le premier streamer. La seule originalité réside dans l'utilisation de Vine, en révélant le tracklisting. C'était une première. Au final, ils ont juste utilisé les outils à leur disposition, en distillant les bons éléments sur les bons canaux. »
Arrivé au sommet de la pop, Daft Punk se sait condamné : à ce niveau de notoriété, le moindre sourcillement est décortiqué. Pourtant, on imagine mal le groupe faire le moindre compromis artistique. Pour le plus grand plaisir de leur fanbase. Haters gonna hate.
Texte par François Chevalier