par @FrancoisChe
Photo : l'étrange safari de Julian Feeld

Ex-directeur artistique de label indé, Julian Feeld consacre désormais l'essentiel de son temps à la photographie. Un medium qu'il appréhende de façon singulière, entre urbanité et ruralité, entre questionnement métaphysique et méditation transcendantale, tel un chaman capable de demander à ses sujets de se prendre pour un caillou. Du coup, vous imaginez bien qu'on a voulu en savoir plus sur son mode opératoire.
Peux-tu m'expliquer la genèse de cette série ?
A l’intérieur de moi, il y a un espace que je garde sauvage, et une flore s’y développe, des choses y passent, provenant de je ne sais où, des choses vivantes. Je les étudie un peu comme un connard en safari, avec la bouche ouverte, apeuré, excité, et je prends des notes. Le contact avec cet espace a tendance à être plus fort quand je médite, ou quand je m’endors ou me réveille. C’est là que j’ai aperçu les formes que j’ai essayé de retrouver dans cette série.
Comment as-tu procédé pour le casting ?
Pour chercher mes modèles, j’ai diffusé des annonces sur Facebook, puis sur Craigslist. Ça n'a pas été difficile du tout. Les gens ont soif d’aventure. Moi aussi j’ai soif de me sortir de ce cauchemar, donc je les comprends. Je leur dit : « arrête de te raser ». Pas de maquillage non plus. Puis je pars avec eux et on travaille ensemble, souvent illégalement, sur des chantiers, dans des bois. Je leur demande d’interpréter des formes. Je leur dit : « tu est une pierre transpercée par du métal. Tu es un insecte mort. Tu n’es pas une personne. Ton visage n’existe pas ». Puis je shoote.
Pourquoi avoir choisi l'argentique sur ce shoot ?
J’aime bien l’idée que des cristaux changent de composition au niveau atomique a chaque fois que l’objectif s’ouvre pour laisser passer de la lumière. C’est violent. C’est une brûlure, une mutilation de la pellicule, un coup de couteau. J’aime aussi l’aspect liquide du grain. Changer de pellicule. Attendre le développement comme un enfant à Noël. Apprendre à être plus patient. Passer moins de temps devant mon ordinateur...
« Tu es un insecte mort. »
Comment expliques-tu cette passion pour les corps nus, qui sont au coeur de ton travail ?
C’est la matière première de notre existence ! Il n’y a rien d’autre, vraiment. Nous sommes tous des conjugaisons charnelles éphémères : parfaits, vulgaires, en décomposition. Le reste on l'ajoute après. Je suis ceci, je suis cela. Vraiment ? Ou es-tu un corps nu, étendu comme un hamac entre les cocotiers de ta naissance et de ta mort. Et puis j’avoue que j’aime bien contrôler la chair de cette manière.
Quels sont les artistes qui t'influencent ?
J’ai vu Teorema de Pasolini quand j’avais dix-sept ans et ça m’a vraiment marqué, sa manière d’utiliser les corps comme des objets dans ses compositions inquiétantes, fascinantes. C’est comme si il les élevait au rang d'objet cosmique en leur enlevant leur humanité. Et puis quand un corps se déforme sous mon regard, sous mes mots, je me sens vivant. J’y prends un plaisir viscéral. Il doit rester pas mal de singe a l’intérieur de moi.
Depuis quand pratiques-tu la photo ?
C’est une nouvelle découverte, l’argentique. J’ai acheté mon boîtier moyen format en janvier. Depuis, je n’arrête plus. Je suis devenu obsédé par le processus. Mais je vois la photo comme un mode de construction. Je compte l’utiliser en conjonction avec la performance, la vidéo, la sculpture d’assemblage… pour construire un univers et surtout collaborer avec d’autres. Ça donne un sens à tout ce bordel.
Plus d'images sur le site du photographe : julianfeeld.com
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