par @FrancoisChe
Photo de légende : ce jour où Hervé Dubuisson a porté un maillot NBA

A l'occasion de la sortie imminente de sa biographie, retour sur un moment culte de la carrière d'Hervé Dubuisson, légende vivante du basket français qui fut le premier Européen à flirter avec la NBA.
21 juillet 1984. Le basketteur français Hervé Dubuisson pose en couverture de l'Equipe Magazine avec un maillot des New Jersey Nets. En toile de fond, un drapeau étoilé. L'image signée du photographe Michel Deschamps est saisissante. Après les JO de Los Angeles (28 juillet - 12 août 1984), l'international va « tenter sa chance au royaume du basket pro », en disputant les Summer League. Dans le contexte de l'époque — aucun joueur européen n'a encore foulé les parquets NBA — c'est un cataclysme. D'ailleurs, le supplément week-end du principal quotidien sportif hexagonal déroule le tapis rouge et fait sa couv sur « Le rêve américain » du jeune homme de 27 ans. A la clé, un entretien fleuve de quatre pages dans lequel Dubuisson fait le point sur ses chances de décrocher un contrat au pays de l'oncle Sam. Et s'il devenait le Youri Gagarine du basket européen ?
Nothing but Nets
Les voyants sont au vert. Le natif de Douai a tapé dans l'œil de plusieurs scouts. Dès l'été 1982, Dub reçoit des courriers en provenance de Detroit, Houston, Indianapolis... Et pour cause, il dispose d'un arsenal offensif et de qualités athlétiques (1,95 m, 86 cms de détente sèche) a priori compatibles avec les standards NBA. Sensibilisé aux fondamentaux par Marcel Dessenne, son premier entraîneur à Thumeries (59), Dubuisson a développé sa technique très tôt en répétant inlassablement les gestes de base. « Les fondamentaux en basket, c'est le solfège ! » souligne-t-il. On le croit sur parole. Lors d'un match de championnat UNSS, l'adolescent plante... 96 points ! Par la suite, le Nordiste entame son propre livre des records : titulaire en Nationale 1 à quinze ans avec Denain, sélectionné en équipe de France à seize...
L'ailier surdoué du Stade Français est une incroyable machine à scorer, capable de dunker dans le trafic, de passer la balle en mouvement ou de shooter à huit mètres sans forcer. Un joueur d'instinct qui « aime donner du spectacle », entre élégance, vélocité et relâchement. Dans une vidéo de la FFBB réalisée par Nicolas de Virieu, Jacques Monclar évoque avec nostalgie le cas de son ex-coéquipier sous le maillot bleu : « C'est le plus bel attaquant pur de l'histoire du basket français (...) Il faisait peur à toute l'Europe ! ». Première star de l'ère post-Alain Gilles, « le Blanc qui saute par-dessus les buildings » a déjà tout gagné au plan national — back to back avec Le Mans en 1978-79 — et explosé les compteurs (voir encadré plus bas). Avec Dub, tout semble facile.
« Le plus bel attaquant pur de l'histoire du basket français »
Malgré tout, les détracteurs pointent ses errements défensifs et... son goût pour les belles femmes. « Denain n'était pas l'endroit idéal pour s'éclater. A Paris, j'en profite un peu plus. Mon goût pour le sexe opposé n'a jamais joué un rôle négatif dans ma carrière ». Parole d'expert ! Qu'importe, le tireur d'élite est un candidat légitime pour tenter l'aventure outre atlantique. D'autant que les dirigeants des Nets veulent revoir Dub en action. Ils ont été séduits par sa prestation (46 points dont sept paniers derrière l'arc) lors d'un tournoi organisé à Gravelines, quelques mois plus tôt. Le 11 juin 1984, la gâchette effectue un aller-retour tous frais payés par la franchise du New Jersey pour parapher un précontrat.
Denain, c'est loin
L'enjeu ? Une place sur le banc contre un salaire minimum de 65 000 dollars. Dubuisson est surtout attiré par le challenge sportif : « J'aurais signé pour 20 000 dollars... Ce n'est pas pour l'argent que je tente cette aventure. Ce qui compte pour moi, c'est de jouer avec les meilleurs basketteurs du monde » concède-t-il dans les colonnes de L'Equipe Mag. L'édito de Thierry Bretagne ose un parallèle avec le 7e art : « Imaginez Alain Delon, la vedette tricolore, partant faire des bouts d'essais pour obtenir un dixième rôle dans une superproduction hollywoodienne ».
« Jouer avec les meilleurs basketteurs du monde »
En ligue d'été, sur le campus de l'université de Princeton, Dub doit faire face à des joueurs morts de faim, dans une période où les athlètes formés sur le Vieux continent ne sont pas encore respectés par les coachs. Le défi physique est énorme mais Dubuisson, à son aise dans le jeu rapide, surnage grâce à son redoutable poignet. Hors du terrain, personne ne lui adresse la parole sauf le Brésilien Oscar Schmidt, monument du basket FIBA avec qui il se lie d'amitié. Au final, après trois jours d'entraînement intensif et trois matches contre Philadelphie, New York et Washington, le Français ne passe pas le cut. Comment les ricains ont-il pu passer à côté d'un tel talent ? Un recruteur des Nets admettra plus tard qu'il s'agissait d'une erreur grossière de jugement. Il faut dire que la NBA de la première moitié des années 1980 ne compte aucun étranger dans ses rangs. Le contexte n'est pas favorable. Sans contrat garanti mais riche d'une expérience rare qui servira d'exemple aux générations futures, le pionnier Dubuisson rechausse les baskets pour une saison supplémentaire à Paris. Jamais un Européen n'aura été si proche de s'engager avec une franchise NBA. Drafté par les Dallas Mavericks, l'Allemand Detlef Schrempf y parviendra en 1985.
Cet échec relatif ne doit pas faire oublier quel fantastique joueur il était, un basketteur moderne auteur d'une grande carrière en Europe. Cet épisode renforce la légende d'un joueur capable de tous les exploits : 51 points contre la Grèce de Nikos Galis, 33 points et le shoot de la victoire face à la Yougoslavie de Drazen Petrovic ou encore MVP du all-star game... à 37 ans au terme d'un match de folie. Né trop tôt pour évoluer en NBA, Hervé Dubuisson mérite amplement sa place au panthéon du basket français.
Le livre des records du Dub
15 ans et 2 mois plus jeune titulaire en Pro A
12 559 points marqués en Pro A
26 saisons en Pro A
50 points marqués et plus à cinq reprises dans le championnat de France
30 points marqués dans un match de Pro A à l'âge de 41 ans
8 titres de meilleur marqueur de Pro A
16 ans et 9 mois plus jeune sélectionné en équipe de France
254 sélections en équipe de France
51 points marqués sur un match en Bleu
4 601 points marqués en équipe de France
Voir l'infographie réalisée par Basket Retro
A VOIR : Le Blanc qui sautait au-dessus des buildings, un film de Nico Gasface, disponible en VOD ici.
A LIRE : Une vie en suspension, de Stéphanie Augé. 17€. 215 pages aux éditions Ipanema. Préface de Nicolas Batum. Postface de Vincent Collet. Sortie le 15 octobre.
Cet ouvrage fort bien documenté se distingue par la qualité de ses intervenants (entourage proche, joueurs, entraîneurs...) et de ses archives. Les temps forts de la vie d'Hervé Dubuisson sont évoqués de manière chronologique, de son adolescence sous le maillot de Denain jusqu'à son combat pour retrouver une vie normale, suite à un terrible accident de moto, en 2001. Un chapitre entier est évidemment consacré a l'aventure américaine, des JO aux Summer League.
Riche en anecdotes, Une Vie en suspension dresse le portrait d'un champion généreux, très apprécié de ses coéquipiers, et souligne l'importance fondamentale de la transmission dans le basket français. Dubuisson, c'est un morceau de patrimoine du sport tricolore qui méritait une biographie digne de ce nom. C'est désormais chose faite. Et bien faite !
Plus de vidéos d'Hervé Dubuisson sur le site Bball Channel
Texte par François Chevalier