
Dimuschi : Dix ans de haute couture électro
Dimuschi revient : l'évènement a lieu vendredi dans un lieu dévoilé seulement 48 heures avant.
Collectif né à Paris en 2004, Dimuschi descend en droite ligne de la mouvance free, révolution festive d'une musique libérée de la règle des trois unités scénique, instrumentale et commerciale qui germe dans l'underground des mid-Eighties. L'occasion de vous ressortir l'entretien croisé entre Laurent Baylet et Patrick Bamberger, cofondateurs, rencontrés en janvier dernier à la soirée des dix ans de Dimuschi.
Nous étions donc à la birthday party organisée au Yoyo pour souhaiter tout le meilleur à ses pères fondateurs. A travers ces deux adeptes techno de la première heure devenus entre-temps des professionnels renommés de l'évènementiel et du spectacle, Dimuschi incarne au XXIème siècle une consécration artistique du mouvement de libération sonore né il y a 30 ans dans l'excitation d'une relative clandestinité. Le principe demeure : un lieu différent à chaque fois où allier un décor inattendu, un excellent sound system ; ajoutons du mapping vidéo et un public accro. Bilan : 14 soirées absolument uniques en 10 ans ; bientôt 15.

Une Dimuschi marquante ?
Laurent Baylet : La dernière au Lycée Carnot (blind date le 30 Août 2013, ndlr).
Un lieu dont vous gardez un souvenir particulier ?
Patrick Bamberger : C'était extrêmement excitant d'envahir le Pont Alexandre III (en 2006, ndlr) avant la naissance du Showcase ! Personne à Paris ne connaissait les piliers du pont qui à l'époque étaient tenus par une association. D'ailleurs je rends hommage à Patrick Bruni qui a géré et défendu cet espace pendant une vingtaine d'années. Il y a eu un travail de persévérence pour séduire cet homme et inscrire la première soirée électronique de ce lieu où tout ce que les jeunes connaissent aujourd'hui n'existait pas.
Laurent Baylet : Je me souviens en particulier d'une église vide pour laquelle nous avons du louer des vierges et des crucifix chez Régifilm.
Et l'anniversaire au Yoyo ce soir ?
Patrick Bamberger : Tu vois, j'aime bien dire qu'il y a le projet prêt à porter en club comme ce soir, et il y a le projet haute-couture qui est la raison d'être de Dimuschi, c'est-à-dire la création d'un évènement qui n'existait pas auparavant et disparait ensuite.
Laurent Baylet : C'est pour moi le plus beau club de Paris, on descend dans l'antre du Palais de Tokyo, c'est vraiment un bel endroit en béton très contemporain. Et le béton a une bonne vibration. Mais pour le son ce soir on a modifié les installation en laissant tomber l'existant pour une façade Funktion One, on a de la puissance ce soir.

Comment tout a commencé ?
Patrick Bamberger : C'est d'abord l'amour du son, forcément. Après nos métiers respectifs dans le cinéma, le théâtre et l'évènementiel nous conduisent à créer des ambiances propices, donc si tu veux il y a une expertise technique à côté de l'amour artistique. Et puis dix ou quinze années en arrière Paris n'offrait pas ce qu'on trouve aujourd'hui et l'idée d'investir des lieux inconnus pour y créer des scènes éphémères était extrêmement alléchante tant pour les artistes invités à se produire dans un écrin totalement différent des clubs habituels, que pour nous qui créons une atmosphère magique pour le public.
Laurent Baylet : On est passionnés de cette scène musicale. Patrick et moi sommes par ailleurs directeurs artistiques et scénographes pour les institutions culturelles et le monde de la mode, une expertise que l'on voulait utiliser pour valoriser cette scène restée relativement underground et produire différemment. L'autre but de Dimuschi c'est la promotion de nouveaux artistes.

Dix ans plus tard, qu'est-ce qui a changé, les moyens, les soutiens financiers ?
Patrick Bamberger : Non, détrompe toi, les moyens non : ce n'est pas un projet économique. Aujourd'hui si on démarche les alcooliers pour les conduire dans un lieu inconnu du bataillon il ne suivent pas, parceque législation, parceque risque, parceque "hors establishement". Le sponsoring n'est pas notre cheval de bataille.
Laurent Baylet : On a eu des hauts et des bas, des difficultés à produire lorsque notre association était un peu déficitaire. Le seul moyen de continuer c'est les alliances avec les amis, les gens qui ont vraiment envie. Dimuschi reste une association, un projet festif et occasionnel donnant du plaisir à un public exigeant.
Patrick, d'Allemagne comment es-tu arrivé à Paris ?
Patrick Bamberger : En voiture ! Pour tout te dire c'est une aventure de trois mois qui s'est transformée en vingt-et-un ans. C'est Paris, l'amour, la France ! Vous ne vous en rendez peut-être plus compte mais vous avez un pays extraordinaire. En tant qu'étranger tu t'y ballades d'une manière un peu différente, tu pousses des portes que le Parisien ne voit plus.

Les Parisiens adorent aller dans les clubs berlinois
Patrick Bamberger : Tu sais, quand je suis arrivé à Paris en 1989 les petites blagues n'arrêtaient pas : "Ach ! Mein Guénéral, où est garé ton char ?" Etc. Ca n'arrêtait pas ! Il n'y avait pas encore Boris Becker ou Steffi Graf, la réunification commençait juste. La chute du mur de Berlin en 89 c'est un film dont la BO est de la techno : d'un coup sont apparues des possibilités absolument inouies dans cette ville qui a contribué à bâtir une nouvelle image de l'Allemagne, plus jeune, plus funky.
Tu penses à des artistes en particulier ?
Patrick Bamberger : Oh, c'est difficile de répondre, regarde ce que DJ Hell fait avec le label Deedjay Gigolo depuis 25 ans ; et ce n'est pas le seul, ce serait réducteur de n'en citer qu'un.
L'endroit qui te fait rêver à Paris ?
Patrick Bamberger : La ville entière me fait rêver mais très concrêtement : l' Arc de Triomphe. Il y a au sommet une terrasse superbe mais ce que les Parisiens savent moins c'est qu'en dessous il y a une salle dédiée à des expositions animées par les anciens combattants, un lieux consacré à l'histoire de France. Je pense que même si le président de la République décidait d'y organiser son anniversaire il ne pourrait pas avoir ce lieu là !
Parce qu'il y aurait une forme de désacralisation ?
Patrick Bamberger : Non, la connotation est trop péjorative. Prends par exemple ce qu'il se passe de l'autre côté de l'Adriatique, dans la vieille citadelle de Dubrovnik qui est inscrite au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO : on y produit des évènements de musique électronique, on aime la mise en lumière des bâtiments et la production artistique dans ces lieux. Il y a évidemment une réalité économique : le tourisme, remplir les hôtels, les restaurants. Mais c'est beautiful de faire un son et lumière dans un lieu historique. Donc si on pousse dans cette direction là, on arrive à des lieux un peu fous, un peu mégalos, le Machu Pichu, des endroits comme ça.
Laurent, deux mots sur ton parcours ?
Laurent Baylet : J'ai commencé à aller dans les raves parties en 1985-86 à Montpellier au début de ce mouvement musical, je suis un ancien adepte de Boréalis. Après je viens du théâtre, c'est de là que je tire mon expertise scénographique. J'ai travaillé dans l'art et la création avec des artistes via Label Dalbin, qui est une autre de nos activités communes avec Patrick.
Musicalement, qu'est-ce qui t'a influencé ?
Laurent Baylet : C'est pas très original mais la scène de Détroit et sa radicalité et les enfants de cette scène.
Et aujourd'hui ?
Laurent Baylet : Je sais pas, Tom Trago.
Une figure emblématique de Dimuschi ?
Laurent Baylet : Je dirais notre artiste résident Remote, qui est là depuis 10 ans.

Trois ingrédients essentiels de Dimuschi ?
Patrick Bamberger : Amour, magie et diversion. Amour, beaucoup d'amour ! On n'est pas promoteurs, pas patrons de club, on est d'abord artistes, scénographes, directeurs artistiques. C'est le premier ingrédient. La motivation n'est pas l'oseille des limonadiers dans les clubs à Paris mais de faire du beau, d'émerveiller et de surprendre. La diversion, car il y a une diversion extraordinaire : tu crois arriver quelque part et t'atterris en fait dans un autre endroit. Tu empruntes un parcours et arrives dans un lieu auquel tu ne t'attendais absolument pas et la fête prend une autre ampleur : jouer dans un club où tu as déjà joué est un peu routinier, tandis qu'ici on réussit une osmose totallement différente entre les artistes et les gens.
Laurent Baylet : Il faut unir des compétences afin d'être pointus aussi bien sur la lumière, le son, la vidéo, la gestion des flux, la programmation etc. D'où l'organisation en collectif.
Patrick Bamberger : Notre expertise technique est réelle, on n'est pas juste des gars qui se sont dit qu'ils allaient faire des teufs. C'est un vrai know-how dans l'évènementiel, un vrai réseau de technique, de prestataires, de lumière, son et vidéo qu'on a mis au service de ce projet. C'est pas juste une fête d'étudiants.

Et si vous aviez un budget illimité ? Si quelqu'un vous disait voilà, vous avez full crédit ?
Patrick Bamberger : J'en rêve ! Un truc de malade mental ! Avoir accès à une technologie qu'on peut pas utiliser actuellement, investir des lieux extraordinaires que tu peux louer uniquement si tu t'appelles LVMH. Bien sûr, si on fait une donation d'un quart de million d'euros pour la réfection d'un bâtiment historique, culturel, alors là...
Laurent Baylet : Haha ! On ferait une Dimuschi avec tout ce qu'on n'a jamais pu faire, j'ai des frustrations incroyables. Mais comme on est entré dans une nouvelle ère de ce projet et que je vois des ouvertures, je pense qu'on pourra réaliser toutes ces idées un jour. Mais on préfère ne pas en parler tout de suite.
Des envies pour Dimuschi ?
Patrick Bamberger : Oh oui ! Pour l'instant à Paris avec un public qu'on aime. Mais il y a des idées, des projets, j'espère qu'on pourra en parler très très prochainement.
Pourquoi continuer ?
Patrick Bamberger : 'Cause it's fun !

Auteur : guillaumedop
Photos : guillaumedop
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